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On était tellement bien dans ce petit bistrot de la rue des Vignoles, avec ses petites fleurs mignonnes, ses petits plats trognons, son petit serveur canon… Dur de s’en décoller pour se jeter dans les rues froides, poings serrés dans les poches et dos rond, puis dans la foule déjà compacte de la Flèche d’Or. A peine le temps d’y trouver notre trou que les Australiens de King Gizzard and the Lizard Wizard (pour la suite on utilisera KG&LW, hein) débarquent sur scène et sans préambules, commencent à nous matraquer la tronche en règle. Ravi d’être canardé sans prévenir par des salves d’accords dissonants-psyché-freaky-énervés envoyés à grands coups de mèches rebelles sur un flot de paroles inintelligibles, le public pogotte en masse dans les deux secondes qui suivent les premières mesures… Et nous, figés sur place, on affiche l’air hébété et ahuri de pauvres bougres jetés à poil dans la neige avec un coup de pied au cul après leur séance de spa.
Attendez, stop. On a bien écouté avant de partir. Les morceaux du dernier album de KG&LW, Papier Maché Dream Balloon, ce sont des mélodies rock sucrées un brin Beatles-esques faites de guitare acoustique et de flute traversière, des airs tranquilles qui donnent envie d’aller faire la ronde tout nu dans les champs de blé… En l’occurrence, un concert approprié pour nos esprits empreints des petites fleurs mignonnes du bistrot. Reflet de notre sentiment de décalage, ma copine se tourne vers moi et me demande : c’est encore la première partie ??… Mais non, pas de doute, 7 musiciens en short aux gueules de lycéens dont deux batteurs, c’est bien KG&LW. Et qu’on se le dise : en live, ça se bouffe sans préchauffage.
I’m in your mind – Vidéo de Xavier Deschard
Les mecs de KG&LW ont du remarquer notre désarroi : avec un flegme typiquement australien, le chanteur troque sa guitare contre la fameuse flûte susmentionnée, les batteurs relèvent la tête, dégagent leurs visages poupons de mèches humides. Amadoués par un morceau résolument « champs de blés », on entre enfin dans le concert, et je crois voir du coin de l’œil des serveurs passer dans les rangs pour distribuer des chocolats chauds aux rares gens encore à poil dans la neige.
Rallonge de The River – Vidéo de Mister Kalou
Mais la pause est de courte durée : une très loooongue version du carrément excité Hot Wax signe la reprise des hostilités… Immédiatement suivies du tranquille Trapdoor, morceau phare du dernier album. A nouveau déconcertés, on commence à comprendre : les australiens de KG&LW bafouent sans vergogne tous les codes du bon concert bien ficelé. Pas de débuts tranquilles pour une montée en puissance, pas de décorum (un drap pendu mollement derrière le groupe fait office de décor), aucune logique. Les rythmiques constamment changeantes s’enchaînent sans queue ni-tête, et si la méthode à tendance à couper la chique, elle à le mérite de détonner.
Qu’à cela ne tienne, la non-prise de tête assumée des gars de KG&LW est contagieuse, et La Flèche d’or qui suinte la pinte et la sueur leur va bien. La salle maintenant étouffante slame et hurle sans discontinuer. On pardonne alors le manque de cohésion et les approximations passagères d’exécution – pas facile de jouer les métronomes en faisant le clown la langue de travers et les yeux exorbités – pour profiter des 20 dernières minutes d’apnée marquées par les délicieusement cradingues Cellophane et I’m in Your Mind Fuzz. Et si à la fin d’un concert plutôt court, certains semblent légitimement regretter l’absence surprenante de rappel, nous on a le sourire aux lèvres, les acouphènes au plafond, les vestes bonnes à foutre au sale, et le sentiment du jeudi soir accompli… merci l’Australie !
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[Crédits Photos: Cédric Oberlin]